Quand « prévention » rime avec gentrification

Depuis quelques temps on entend parler, dans les médias locaux, du plan de « prévention et de lutte contre l’alcoolisation massive des jeunes dans l’espace public», mis en place par la ville de Besançon, en partenariat avec la préfecture et l’ARS (agence régionale de santé).
Cette campagne de prévention se traduit par des affiches dans les arrêts de bus, la création du site www.fete-a-besac.fr, l’organisation de soirées gratuites sans alcool, la présence d’associations de prévention et de médiation au centre ville, etc…

On nous sert une com’ qui se dit non moralisatrice, appelle à une consommation responsable, modérée, avec pour slogan : « La fête à Besac : – d’alcool c’est + cool ! »

En parallèle une charte de la vie nocturne (facile à trouver sur le net) a été mise en place cette année pour « contribuer au développement raisonné de l’animation du centre-ville la nuit par différentes actions ». Quand on lit en détail cette charte, on se rend bien compte que ce qui importe vraiment, c’est le dernier axe : « Le respect de la tranquillité des riverains et des commerçants. »

Un problème de santé publique mais surtout de tranquillité publique ! Les épiceries doivent arrêter de vendre de l’alcool à partir de 22h, sous peine d’amende et de menace de fermeture par arrêt préfectoral.

Les cafetier.es n’ont pas vraiment le choix s’ils veulent pouvoir ouvrir au maximum (jusqu’à 2h30), ils sont obligés de demander leur adhésion à la charte ; en contre-partie ils doivent mener des actions de sensibilisation auprès de leurs clients (une action de prévention par an minimum), et garantir l’ordre public autour de leur établissement. On peut lire que « Les exploitants sont encouragés à utiliser tout autre moyen légal à leur disposition pour assurer la tranquillité publique : installation de caméras, mise en place d’un sas d’entrée ou encore recrutement de personnel ». On voit bien que la majorité des proposition s’inscrivent dans une perspective hautement sécuritaire !

Une commission définit les critères d’adhésion et d’admission à la charte de la vie nocturne. En 2014, plusieurs rades se sont fait refoulés car ils avaient eu une interdiction préfectorale l’année d’avant. C’est le cas rue Bersot, où les riverains avaient installé une banderole « Droit au sommeil » (comme d’hab’ le citoyen lambda se rebelle uniquement quand on touche à sa petite personne). Ces bars devront bientôt installer une cordelette pour délimiter leur terrasse, et bien parquer les clients-agitateurs.
L’exclusion de la charte montre la démarche de la carotte et du bâton : fait moins bruit devant ton bar et tu ouvriras plus tard, agenouille toi et on t’offrira des miettes !

D’autres villes (Toulouse, Strasbourg, Nantes, ..) ont mis en place des dispositifs similaires pour lutter contre l’alcoolisation massive des jeunes et les nuisances associées : bruit, rassemblement de personnes, occupation de l’espace public. L’exemple de Rennes, avec le projet Noz’ambule lancé en 2008, est très parlant puisqu’il a inspiré de nombreuses villes, avec pour slogan « Trinquons sans saouler les autres ». 40 dates d’interventions sont mises en place chaque année pour que les acteurs sociaux et de prévention investissent le centre-ville : comme à Besac’, les pairs étudiants sont là jusqu’à 00h, et après les assoc’ de réduction des risques prennent le relais jusqu’à 2h du mat’. A partir de 2h, les CRS finissent le boulot, en vidant la rue de la soif locale, à coups de matraques et de lacrymo.

On voit bien que la prévention n’est pas la finalité ; elle sert de prétexte à un projet plus larvé d’aseptisation urbaine, qui prend une place de plus en plus importante et insupportable. Petit à petit, Besançon perd son âme pour devenir une ville proprette, lisse, investie par les bourgeois, une ville qui accueille ses touristes en toute sécurité.

En 2008, le grand projet d’urbanisme a commencé avec la démolition des gradins place Pasteur (fini la zone dans la rue passante!). En 2011, la Rodia a été inaugurée à l’autre bout de la ville, pendant que les petits cafés-concerts des rue animées, se prenaient des obligations de fermeture (Le Bodega, Le Maquis,..) et dépérissaient. En 2012, Eiffage-Immobilier signait un contrat avec la Ville pour le projet de construction des « Passages Pasteur » qui a pour but de construire une galerie commerçante et des logements bourgeois en plein centre-ville. La rénovation de la rue Claude Pouillet s’inscrit dans ce projet, on se doute bien que les acheteurs viennent visiter la journée, la ville doit donc cadrer davantage ce lieu festif pour satisfaire ces futurs riches habitants.

De 2013 à 2014, l’installation de caméras par la Ville, la création d’un centre de surveillance et la construction du tramway, viennent s’ajouter à toute cette vague de gentrification. En 2015, on nous annonce le recrutement de 26 flics municipaux et la disparition des correspondants de nuit, pendant qu’une pincée de prévention s’ajoute à toute cette merde.
Toujours le même processus : éloigner la fête du centre-ville, laisser les citoyens pantoufles tranquilles, limiter le nombre de plaintes, penser aux électeurs, quoi !
Consommez dans des lieux dédiés, dans le cadre imparti, ne débordez pas ! Pas de vomi le jeudi soir!

A Besançon comme ailleurs, les lieux festifs informels tendent à disparaître !
La sécurité et la tranquillité publique sont à l’honneur !
A Besançon comme ailleurs, réapproprions nous la rue !